Et comment je démerde vos histoires de Depardieu, maintenant ?

J’ai deux adolescents à la maison. Qui ont internet, leur diplôme de surfer, des comptes sur tous les réseaux sociaux. Et depuis quelques semaines, je passe mes dîners ou mes trajets en voiture à rectifier les trucs qui sortent sur Depardieu. Enfin, rectifier, non. Je ne prétends pas avoir la vérité sur le sujet. Plutôt, remettre dans le contexte. Parceque celles et ceux qui évoquent l’histoire en une une phrase, avec un bon mot drôle sur une affaire qui l’est pas, qui prennent la parole en étant sans nuance, en faisant des raccourcis, vous êtes une caisse de résonnance de ce monde machiste qui ne veut pas mourir.

Perso, j’ai choisi le camps des femmes, mais ça ne m’empêche pas d’être nuancée. Lorsque je parle avec mes ados de cette affaire, je m’attache à présenter les choses, pour qu’ils comprennent la merde complexité dans laquelle les femmes et la société sont depuis des siècles, et ce qui attend les homme dans le changement à venir (#crossingFingers qu’il vienne). Je vous partage ma liste pour transmettre une vision panoramique.

L’affaire Depardieu, c’est

  • Un homme ayant du caractère, qui grandit en 70, dans une société pilotée par des hommes, qui met en avant la virilité, propose de facto une supériorité de l’homme sur la femme, avec un droit de regard (et de toucher) sur son corps, et un permis de faire des blagues relou et sexistes distribué dès la naissance aux hommes ;
  • Un acteur de grande qualité, un artiste qui a travaillé dur, et a donné de son temps et de son énergie au milieu du cinéma français, portant le flambeau de la France, pays des arts au delà de nos frontières ;
  • Un métier dont la base est la relation humaine : à l’écran, le spectateur veut de l’harmonie, de la magie, de l’originalité, sur le plateau, il faut des acteurs convaincants, efficaces, séduisants. Toutes ces exigences donnent une ambiance de travail intense, en voyage, loin de chez soi, avec des horaires de dingue, des travailleurs techniques aux ordres, entre paillettes et pouvoirs ;
  • Des femmes travaillant sur ces plateaux qui ont été insultées, caressées sans consentement, provoquées, nombreuses, semble-t-il ;
  • Des femmes, qui travaillent, et qui dans les années 60, 70, 80, 90, 2000, 2010* ont intégré la règle du silence pour ne pas déranger ces messieurs, pour avoir une carrière qui roule, pour répondre aux désirs des hommes qui ont du pouvoir (on va pas en faire un fromage, hein !) ;
  • Une industrie du cinéma, qui comme toute bonne industrie nourrit et protège ses meilleurs produits, à tout prix ;
  • Un homme qui vieillit, et continue à se comporter sans filtre, insensible au changement d’ère, au vent qui tourne pour rétablir des relations égalitaires entre hommes et femmes (pourquoi le ferait-il, en fait, il a toujours été comme cela, on lui a toujours passé son extravagance) ;
  • Deux plaintes contre Depardieu, l’une pour viols et agressions sexuelles, déposée en 2018, et l’autre pour agression sexuelle, déposée en 2023, et des déclarations publiques d’actrices sur sa manière d’être sexuellement explicite et directe envers les femmes.
  • Une contre-culture du viol et du sexisme qui s’organise depuis quelques années autours de causes massives #meToo #féminicide #inceste, avec des associations actives, visibles, et des femmes qui portent cette parole [coeur sur vous, vous êtes des héroïnes] ;
  • Certains hommes qui comprennent que peut-être les choses vont changer et qui sont sous pression d’être soit allié, soit ennemi des femmes (en fait, bro, ya mille façon de prendre son temps pour changer, s’adapter, réflechir, j’ai envie de te dire) ;
  • Le bavardage en continue sur les résaux sociaux, où les gros comptes savent que la course aux vues est un enjeu économique, et quoi de mieux qu’un contenu court et impactant pour buzzer (ça je le dis pour les boomers qui me lisent parceque sinon, mes enfants sont nés avec cette règle du jeu numérique) ;
  • Un président qui tente de jouer la carte d’une France des Arts et de la présomption d’innocence, et qui fait des choix éditoriaux (vous comprenez ça serait trop long de donner trop de contexte) ;
  • Une famille Depardieu qui, sans doute, trouve injuste ce revers de réputation – ou pas – et qui est heurtée par la visibilité de cette affaire ;
  • Un chroniqueur-acteur qui fréquente une revue bien à droite, qui court au chevet de la France artistique bafouée, et provoque une lettre de soutien à Depardieu ;
  • Des amis qui se mobilisent, au nom de l’amitié, des années passées ensemble, de la loyauté envers un système qui les a nourris, qui se mouillent individuellement pour un ami attaqué ;
  • Des médias qui ont pris l’habitude maintenant de réagir à l’actualité, de couvrir tout événement qui fera le buzz. Ici on a un cocktail magique : personnalité connue à grand réseau avec compétence de communication + voyeurisme + le procès n’a pas eu lieu tous les doutes sont permis + feux et contre feux. Mon pronostic, on en a jusqu’à la Chandeleur, au moins.

Bon, voilà. C’est un peu long, pardon. C’est sûr, ça ne tient pas en un tweet, c’est compliqué à développer proprement dans un post Insta, ou dans une vidéo TikTok. Mais n’empêche. C’est un important que nos adolescents aient accès à tout cela en même temps. Pour qu’ils comprennent la mécanique, le contexte, comprennent que les choses doivent changer, et peuvent changer, et deviennent acteurs (ha ha) de ce changement, jusqu’à ce que les phénomènes de type Depardieu disparaissent.

(*pour conjurer le sort j’exclus 2020 de la liste…)

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