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Summer 2016 books selection

La rentrée littéraire offre 560 nouveaux ouvrages. Certes. Mais il serait dommage d’oublier trop vite les instants littéraires de la promotion précédente. Voici quelques livres savoureux qui ont fait mon été. Et qui pourrait bien vous distraire cet automne.

 

 

 

 

 

 

Merci à la librairie Poivre d’Âne, Valérie et Dickens, pour les excellents conseils, et l’amitié. Fidèlement.

 

 

Lettre à Philippe Djian

Cher Philippe, très cher Philippe,

je t’écoutais récemment dans le sombre d’une nuit jetlaggée, sous la lune californienne – vive le podcast. Tu discutais pour France Culture, tu racontais ta vie, avec des mots simples, des anecdotes, et une décontraction, qui me touchaient. Je retrouvais un peu de tes mots dans tes histoires. Philippe, peut être l’auras-tu déjà deviné, j’aime beaucoup ce que tu écris, et lorsque j’ai moins aimé tes ouvrages, j’ai aimé les risques que tu prenais. Récemment j’ai poussé des cris de joie en découvrant les liberté que tu prenais avec la ponctuation et la langue française, ainsi que ton talent à manier le non-dit. Bref, tu fais partie de la liste très privée de auteurs qui me touchent, me renversent, me font me découvrir.

Et dans cette interview, Philippe, tu disais que la politique ne t’intéressait pas. Que la politique n’était pas du domaine de ton écriture, que tu ne voulais pas avoir pour mission d’expliquer aux gens comment vivre, s’organiser… Je pausais un instant le podcast. Oui, c’est vrai. Tes ouvrages sont au dessus de la société, souvent dans des villes inconnues, tes personnages sont des humains en mouvements dans la société, mais ils ne prennent pas parti, ils ne votent pas, ne se battent pas, ne dissertent pas des heures, ne parlent pas des 35 heures, n’évoquent pas les pistes vers une société parfaite. Certes.

Ici, un chiffonnement. J’aime en général les auteurs engagés. J’aime Philippe Djian. Et il confesse un manque flagrant d’engagement. Je pèse. Je balance. Politique. Engagement. Leur rapport. Et puis il m’apparaît clairement qu’un argument pourra me réconcilier, m’expliquer pourquoi nous avons des vues différentes ici. L’argument que tout est politique. Nos choix sont politiques (pour faire court). Ils nous positionnent dans la société – à l’opposé du mollusque. Et par cette magie. Ton écriture est politique, Philippe, bien que tu t’en défendes. Décrire la vie de personnages, libres, qui se foutent des normes, qui font des choses hautement bizarres, qui sont à la limite du socialement correct. Disséquer les névroses humaines, actuelles, pour mettre à jour nos faiblesses, les ressorts qui nous poussent à perdre la tête, les mécaniques de la domination, les limites de nos humanités. Dénouer les fils machiavéliques des filiations, des familles et des héritages lourds, c’est un engagement. Bref (*). Tout ceci, Philippe, m’apparaît à moi hautement engagé. Une parole crue, sensible, intelligible et intelligente. Voici un engagement qui est souvent rare dans notre paysage littéraire (**). Ton écriture, racontais-tu était perçue comme ne ressemblant à rien de ce qui se pratiquait dans les années 70.  Et tu as gardé ta ligne. Elle s’est même radicalisée ces derniers temps. C’est un engagement. Tu animes des ateliers d’écriture, tu accompagnes des talents naissant, et tu leur dit de bosser leur écriture, de bosser et bosser. C’est un engagement. Tu multiplies les supports d’écritures, les formes (paroles de musique, albums illustrés, …). Tu parles de toi simplement, de manière accessible, sans aucune trace d’élitisme dans ton attitude. C’est un engagement.

Mais il est tard, ici en Californie. Me voici réconciliée avec moi-même, Philippe. Et j’ai enfin pu te dire tout le bien que je pensais de toi.

Merci.

(*) Je laisse ici le lecteur relire toute la bibliographie de Philippe, magnifique presque du début à la fin, oui je suis une fan inconditionnelle.

(**) Lecteur, je suis preneuse de toute suggestion d’auteurs provenant de ta propre liste d’auteurs préférés.

Un été, des livres : Jacob, Jacob de Valérie Zanetti

jacobLes goûts, les couleurs, les livres. Jacob, Jacob de Valérie Zanetti. J’ai découvert ce livre il y a quelques mois déjà, mais un de ses passages m’a profondément touchée. Je profite de l’été pour le partager ici. Oui, c’est un spoiler. mais c’est un grand moment de littérature.

Dans ce passage, Rachel, juive de Constantine, pense à son fils mort en 1940 pour la France. Lors du départ de Jacob pour la France, elle n’a pu l’embrasser, et à l’annonce de sa mort, on ne lui a pas annoncé les circonstances de son décès. Par ailleurs, elle ne sait pas où est son corps. Elle repense…

… et Rachel […] se balançait doucement en se maudissant d’avoir donné le prénom d’un enfant mort à Jacob, ça avait été une erreur de défier ainsi le choix de Dieu, et elle pensait, s’il avait été fragile comme Abraham, ils n’auraient pas voulu de lui à l’armée et il serait encore là, s’il n’avait pas été vigoureux, il serait resté dans un bureau à remplir des papiers, et il serait encore là, si le fou allemand n’avait pas décidé de faire la guerre en Europe, il serait encore là, s’il avait été peureux et avait déserté, il serait encore là, s’il avait été moins beau et n’avait pas attiré le mauvais œil de tous ceux qui le croisaient, il serait encore là, et si j’avais pu l’embrasser une dernière fois, cela m’aurait suffi, et si je n’avais pas pu l’embrasser mais si j’avais pu le voir de loin, cela m’aurait suffi, et si je n’avais pas pu l’embrasser ni le voir de loin mais que j’avais simplement entendu sa voix, cela m’aurait suffi, et si je ne l’avais pas pu l’embrasser ni le voir de loin ni entendre sa voix mais que je l’avais simplement vu mort, cela m’aurait suffi, et si je ne l’avais pas vu mort mais qu’on m’avait apporté ses derniers vêtements imprégnés  de son odeur et son sang,cela m’aurait suffi, et si quelqu’un était venu me raconter sa mort et me dire ses derniers mots, cela m’aurait suffi, mais il n’y avait rien eu à part l’annonce, et maintenant, son coussin était vide, comme le cœur de Rachel qui ne se sentait plus la force d’aimer personne, d’aimer la vie, à quoi ça servait d’aimer s’il fallait connaître l’arrachement, à quoi ça servirait de vieillir si ça signifiait s’éloigner de Jacob, qui aurait éternellement dix-neuf ans et demi, jamais vingt, pourquoi on ne lui avait pas donné le choix, à elle, sa mère qui l’avait porté, de lui donner vingt ans de sa vie, de renoncer aux vingt-cinq années qui lui restaient à dormir, à se préoccuper des repas, du ménage, de la lessive, à entendre les ragots des voisines, il parait que la femme de Maurice lave ses draps une fois par mois, il paraît que la fille Fortune n’était pas vierge le soir de ses noces, il paraît que le fils d’Albert n’est pas son fils, mais celui de son frère, il paraît que les parents de Lucien ont payé le directeur du lycée pour qu’il ait son baccalauréat, il parait que la femme de l’épicier a porté du rouge alors que son mari était à peine enterré, il paraît que Leila brûle ses plats une fois sur deux quand elle cuisine, était-il possible que Dieu l’ait laissé sur terre pour entendre ces choses-là ?

Le sport littéraire est intime, l’imaginaire et l’histoire du lecteur y sont pour beaucoup, mais ce passage me frappe par ce qu’il donne à voir de la torture que l’on peut s’infliger, de vaine tentative d’échapper à la réalité, de ces moments de solitude, pitoyables et touchants.

Un mot sur le livre, Jacob, Jacob de Valérie Zenatti. Cet ouvrage est un cadeau pour les lecteurs sensibles au style délicat des écrivains. Valérie Zenatti laisse une impression de douceur, de délicatesse et travaille par petite touche son histoire, ses personnages, avec une finesse impressionnante. Jacob, Jacob,  parle de Jacob, juif de Constantine, enrôlé en Juin 1944, parti libérer la France. On découvre sa famille, dure, on le suit dans son périple guerrier où il découvre la vie, l’amour, la violence, la fraternité. En peu de pages, Valérie Zenatti convainc.

[Book] Réparer les vivants

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Certains auteurs vous touchent plus que d’autres. Certains thèmes vous bousculent plus que d’autres. Réparer les vivants de Maylis de Kerangal réussit cette double prouesse et figure désormais dans les chefs d’oeuvre de ma bibliothèque. Qu’en dire… Maylis de Kerangal tisse son sujet, avec un style dense, elle vous fait toucher du doigt et du coeur ce que ses personnages traversent. Un style qui ne vous laisse pas une minute regarder ailleurs. Maylis de Kerangal s’attaque au don d’organes. Un sujet difficile, tabou, qui démange, en appelle à nos démons, à nos croyances. Point de cliché ici, rien qui n’use la corde sensible et facile du lecteur. Juste un regard intelligent, chargé d’histoire et de sens sur les vagues successives que subissent les personnages entourant un corps de donneur, des parents aux chirurgiens. Bien fort celui qui résistera sans ciller à ces immenses moments d’humanité. Une mère qui annonce la mort de son enfant à un père silencieux, provoquant ainsi l’éclat de leur monde. Un chirurgien qui fait valser scalpel, pinces, gants, et duquel surgit un geste bouleversant, sur ce corps inanimé et donnant. Les questionnements intenses d’une receveuse de cœur, terrassée à l’idée de ne pouvoir jamais dire merci au donneur…Un livre immense, beau. On s’y rappelle nos fragilités de mortels, et le goût délicieux de nos instants de vivants.

A lire tranquillement : “Réparer les vivants” de Maylis de Kerangal, Collection Verticales, Gallimard, Parution : 02-01-2014

[book] L’écriture : travail de mémoire, de force et d’équilibre

Le weekend dernier se tenait à Aix en Provence les Journées des Écrivains du Sud, dans la majestueuse cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède, à deux pas de la Cathédrale Saint Sauveur et de l’Archevêché. Un bel endroit, pour de belles rencontres. On y croise Fréderic Mitterrand (en tenue décontracté, entouré de groupies de tous âge, qu’il accueille patiemment), quelques caricatures d’intellectuels parisiens (coupe longue, écharpe en soie…), mais surtout, on y écoute la parole d’écrivains sur le processus d’écriture. Laissez-moi-vous rapporter quelques points de vue sur cette question, entendus au cours des nombreuses conférences qui animaient ces rencontres. Deux perspectives, de deux écrivaines, qui m’ont paru particulièrement pertinentes, généreuses et sages.

Mazarine Pingeot. Ecrivaine. Fille de François Mitterrand. Longtemps gardée au secret. Que nous dit Mazarine sur les raisons et les procédés d’écriture. Elle y mêle évidemment son parcours singulier, et son enfance contraignante, où il lui était devenu une seconde nature de ne parler, ni trop, ni trop précisément, au sein de sa famille et à l’extérieur. Afin de ne pas trahir le secret des autres. Dans cette situation particulière, la lecture et l’écriture lui ont paru le media idéal pour dire les choses interdites, rencontrer des univers bavards et transparents. Voilà pour la motivation de se construire une vie d’écrivain. Maintenant pour le geste d’écriture en lui-même. La fiction apparaît à Pingeot comme la voie royale, pour retrouver sa mémoire confisquée, étouffée par nécessité. Car les choses non-dites, nous rappelle-t-elle, disparaissent (un argument qui me touche particulièrement, mais il s’agit là d’une autre histoire). La recherche de cette mémoire est donc un travail de chaque instant, un travail de récupération, qui oblige l’auteur à saisir chaque écho, chaque fulgurance, et de les retranscrire avec une voie singulière, un style particulier. Dans quel but ? Mazarine s’explique. Pour résoudre le problème d’avoir été crée par l’histoire des autres (un peu le lot de chacun, n’est ce pas ?). Pour se réconcilier avec soi. Pour accéder ainsi à une certaine forme de liberté.

Autre écrivaine. Autre perspective Maylis de Kerangal présente le roman comme un espace, dans lequel toute forme d’usage des mots est soluble : le fait divers, la biographie, la chanson, l’histoire, le poème. Genre malléable, sans règle – le mauvais genre, résume-t-elle – c’est également le lieu de l’hyper-décision de l’auteur. L’auteur doit donc être porté pour couper, trancher, décider, percer les mots, et créer une œuvre vraie. Ainsi Mayliss partage avec nous son processus de création. Elle décide de l’ambiance de son ouvrage. Plutôt intérieur, extérieur, ouvert, fermé, lumineux, sombre. Elle dégage ensuite une histoire, un univers, puis une question – qui peut apparaitre au fil de l’écriture. Et elle l’alimente. Par de la documentation, et par les émotions, les expériences, les rencontres que cette démarche documentaire fait émerger. Un processus qui se nourrit des matériaux rencontrés en chemin. Un processus qui nécessite un élan au départ. Ce que Maylis appelle la vague. Un mouvement, pétri d’énergie, mais aussi de risque de retomber, de céder au vertige. Le roman ne se résous et n’émerge donc que lorsque l’écrivain sait concilier les forces contradictoires qui le traversent : la terreur d’écrire et le désir d’écrire.

Deux voix, l’une prônant le travail de mémoire nécessaire à une liberté, l’autre prônant le travail volontaire et courageux.

Deux voies que les auteurs pourront mêler pour trouver leur propre chemin vers l’écriture.

 

Note : je ne peux que vous recommander de lire Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, un roman dense et court.

 

[Mots] Nous demeurâmes un instant silencieux…

Extrait de “Love Song” de Philippe Djian

 […]

Nous demeurâmes un instant silencieux, également assommés, l’un et l’autre, par l’édifiant constat de cette dérive et par cette faculté qu’ont les hommes de toujours travailler à leur propre destruction – comme se donner de mauvais chefs, empoisonner les champs ou désirer des femmes trop belles.

[…]

Note : Les dix premières pages de Love Song sont aussi disponible ici, merci Gallimard !

 

[Livre] Un été, trois livres, six hommes…

Vous l’ai-je déjà  dit ? Ma libraire est formidable. Elle me réserve le meilleur accueil dans sa librairie Au Poivre d’Âne à deux pas des anciens chantiers navals de La Ciotat. Elle me laisse également profiter de sa petite terrasse, où il m’arrive de déguster un verre de rosé, en regardant le soleil décliner  sur les voiliers du port. Sur son unique table colorée, on rêve, on lit, on refait le monde, on glousse, on écoute le vent. Ma libraire me présente des auteurs, des styles, des personnages… Et cet été, elle m’a présenté (entre autres) 6 hommes. Pas d’un seul coup. Non. Trois livres, six personnages masculins, incarnant tous la difficulté d’être un homme (avec un petit h). Six hommes dont la vie bascule, qui parlent des femmes, de l’enfer et des horreurs qu’elles leur font subir, jour après jour.

Road Tripes de Sébastien Gendron

Deux hommes s’associent à la faveur d’une bourde commise ensemble. Soudés par l’envie de fuir, ils prennent la route, et se dévoilent au fil des kilomètres. Deux personnages très différents. Vincent qui aime sa femme, sa fille, et traîne une culpabilité immense de ne pas être à la hauteur. Carell qui avoue n’avoir approché dans sa jeunesse que deux types de filles celles que l’on payait ou celles qui n’étaient pas consentantes. L’auteur nous ballade de voiture en voiture, de maladresse en conneries sérieuses, de ville en ville. Il saupoudre cette aventure, menée comme un roman policier, avec ce qu’il faut d’amour, d’amitié, de violence et de sexe – pas toujours élégant, mais hilarant. On y retrouve des moments délicats, drôles et cyniques. Un bijoux, donc.

Husbands de Rebecca Lighieri

Evidemment, tout le monde le sait, les femmes des couples hétéros sont parfaites. Adorées, adorables, admirées. Et pourtant il existe quelque part dans un livre nommé Husbands un trio de maris qui résiste. Déçus par leurs compagnes, ils racontent leur déconfiture. Trois hommes  se partageant les qualités humaines, à la fois beaux, romantiques, vieux, fougueux, froissés, généreux, impuissants, courageux, brisés, méprisants, stupéfaits, enragés, lâches, et … dangereux. Trois hommes qu’une soudaine amitié lie contre les femmes. On apprendra au passage tout du candaulisme, pratique sexuelle consistant à exposer sa femme au désir d’un autre homme, une expérience qui permettra dans ce roman d’explorer la question de la fidélité, du désir, de la domination dans le couple. Bref, les curieux de la nature humaine en auront pour leur compte, et auront le plaisir de découvrir les pensées de ces messieurs, pas toujours bienveillantes.

Vertiges de Lionel Duroy

Vertiges

Ma libraire me dépose ce livre un dimanche matin. “Je ne sais pas où il va…”. Qu’à cela ne tienne, je feuillette, lis, persiste… Et je découvre Augustin. Qui pleure pendant 300 pages sa Cécile, merveilleuse et douce, qu’il trompait avec Esther, exceptionnelle et tendre, qu’il trompait avec Nathalie, Violetta et Ingrid…. Parce que seules les femmes savent consoler de la douleur de l’amour, c’est bien connu. Rien ne nous est épargné dans cette rétrospective des transports amoureux. Quelle cruauté de voir Cécile s’apprêter pour aller rejoindre son amant, pendant que le héros, digne, garde leurs deux enfants. Quelle crève cœur, l’attitude la mère d’Augustin, haineuse et aigrie, qui n’a pas su élever ce pauvre petit garçon. Un personnage, tout en émotion, mais dont l’éternel rengaine sur ces femmes dominatrices dont il est le pauvre pantin, finit par lasser. Dommage, la maîtrise de l’écriture était impressionnante, l’insertion des dialogues fines et efficace.

Bonus : Pour me faire pardonner de cette dernière critique négative, laissez-moi vous réconcilier avec les hommes en vous recommandant deux autres beaux romans, dévorés il y a quelques mois. Les Frères Sisters de Patrick deWitt (une relation de frères un peu bourrus, dans un style drôle et fin) et Homo Erectus de Tonino Benacquista (la parole de trois hommes  qui racontent leur vie amoureuse, contrariée ou extraordinaire, par un de mes auteurs préférés). A-dé-vo-rer.

Bonne rentrée littéraire !

Homo erectus, Tonino Benacquista

[Communauté] Vous aimez les mots ? Vous aimerez WeLoveWords !

ImageL’écriture. Un moment où l’on se regarde droit dans les yeux et on met à plat ce que l’on a en soi, ce qui nous interroge, ce que nous ne saurons jamais résoudre, ou ce qui nous paraît acquis.

Toutes les occasions pour pratiquer les mots gagnent à être cultivées. Ecrire une lettre, démarrer une nouvelle, contribuer sur les réseaux sociaux, participer à un atelier d’écriture, tenir son journal – numérique ou papier. N’en déplaise aux adorateurs de l’objet livre et de l’encre et la plume, aux anti-numérique, les mots quels que soient leur forme ont la même valeur. Tous égaux : un texte posé sur la toile, un manuscrit resté dans un tiroir, une page glissée dans la boîte aux lettres d’un crieur de rue (d’ailleurs, les usages se jouent de nos frontières, puisque de nos jours, les crieurs de rue crient également des tweets dans les rues de Paris #jdtap).

Nous aimons les mots. Saluons toute initiative promouvant l’écriture collective ou singulière. Saluons la plateforme WeLoveWords. Cette plateforme vise à réunir les écrivains, paroliers, musiciens, poètes, ou tout individu qui souhaite partager sa production avec les autres, ainsi que les lecteurs. En théorie, la terre entière, donc. C’est un endroit idéal, ouvert 24 heures sur 24, pour proposer et pour lire des œuvres. Des petites, des grandes. On y trouve tous les genres, tous les styles. Le mot y domine largement, mais on pourra poster des photos, des musiques, des vidéos. La plateforme permet de butiner les œuvres par thème, par auteur – dont le profil est consultable, par genre, par fil chronologique. On se laisse volontiers porter par le hasard. La quantité de textes postés, de nuit, comme de jour, laisse imaginer le nombre de chambre envahies par les pensées, le plaisir de coucher sur un écran ses rimes, ses phrases ciselées, son intime ou ses rages.

Des services. We Love Words, ne se contente pas d’être un répertoire d’œuvres, WeLoveWords anime cette communauté d’auteurs en herbe ou confirmés en proposant

– des appels à collaboration: je suis un grand parolier, et je cherche un immense musicien ; auteur de théâtre avec pièce sous le bras cherche comédien, …

– des annonces d’évènements,

– un service (payant) pour protéger ses œuvres,

– des concours de nouvelles, de poème, de roman, en association avec des maisons d’édition ou des acteurs de la presse écrite (numérique ou papier).

Sur WeLoveWords, on se fait des amis aussi. Enfin … on se crée un petit salon de lecture, par affinité, on s’échange des textes, on s’interpelle à voix basse, dans une ambiance feutrée – étonnamment épargnée du bruit des commentaires inutiles. Une ambiance qui sied parfaitement à la dégustation de mots.

Une aventure. L’histoire même de WeLoveWords mériterait une ôde : développée au sein du Labo de l’édition. Une initiative lancée il y a deux ans, une aventure humaine, un projet talentueux. Parce que nous grandissons tous lorsque nous faisons l’effort de passer plus que quelques minutes à creuser une idée, la mettre en mot, oser la partager, WeLoveWords mérite toute l’attention des auteurs du petit matin et des nuits trop longues.

Note : pour les curieux, mon compte sur WeLoveWords http://www.welovewords.com/poulpita

[Livre] La Peau Froide

En cette fin d’année qui pousse à célébrer le meilleur de chacun, qui se nourrit du culte de la bonté et de la famille, il est des livres qui peuvent introduire quelques nuances à ce grand déballage. J’ai en tête La Peau Froide de Albert Sanchez Pinol [1].

La peau froide ce sont deux hommes qui fuient la société dont ils ont trahi les règles, et qui vivent sur une île déserte, un bout de terre oublié des bateaux. La peau froide, c’est l’histoire de deux hommes attaqués chaque nuit par une multitude de créatures mi-homme mi-poisson, et qui sombrent de fatigue. C’est l’histoire de deux hommes qui usent et abusent de la violence pour sauver leur peau. Mais la peau froide c’est surtout un récit sur la perception de l’autre et sur les limites de nos humanités. Le héros, dont on suit la dérive sur une année, se transforme. Il débarque sur l’île pétri de bonnes valeurs – il vient de renoncer à une société qui a trahi ses idéaux. Il rencontre un homme bourru, gardien du phare, exercé à la survie, qui maintient en esclavage une de ces étranges créatures, une femelle aux formes attractives. (more…)