[book] L’écriture : travail de mémoire, de force et d’équilibre

Le weekend dernier se tenait à Aix en Provence les Journées des Écrivains du Sud, dans la majestueuse cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède, à deux pas de la Cathédrale Saint Sauveur et de l’Archevêché. Un bel endroit, pour de belles rencontres. On y croise Fréderic Mitterrand (en tenue décontracté, entouré de groupies de tous âge, qu’il accueille patiemment), quelques caricatures d’intellectuels parisiens (coupe longue, écharpe en soie…), mais surtout, on y écoute la parole d’écrivains sur le processus d’écriture. Laissez-moi-vous rapporter quelques points de vue sur cette question, entendus au cours des nombreuses conférences qui animaient ces rencontres. Deux perspectives, de deux écrivaines, qui m’ont paru particulièrement pertinentes, généreuses et sages.

Mazarine Pingeot. Ecrivaine. Fille de François Mitterrand. Longtemps gardée au secret. Que nous dit Mazarine sur les raisons et les procédés d’écriture. Elle y mêle évidemment son parcours singulier, et son enfance contraignante, où il lui était devenu une seconde nature de ne parler, ni trop, ni trop précisément, au sein de sa famille et à l’extérieur. Afin de ne pas trahir le secret des autres. Dans cette situation particulière, la lecture et l’écriture lui ont paru le media idéal pour dire les choses interdites, rencontrer des univers bavards et transparents. Voilà pour la motivation de se construire une vie d’écrivain. Maintenant pour le geste d’écriture en lui-même. La fiction apparaît à Pingeot comme la voie royale, pour retrouver sa mémoire confisquée, étouffée par nécessité. Car les choses non-dites, nous rappelle-t-elle, disparaissent (un argument qui me touche particulièrement, mais il s’agit là d’une autre histoire). La recherche de cette mémoire est donc un travail de chaque instant, un travail de récupération, qui oblige l’auteur à saisir chaque écho, chaque fulgurance, et de les retranscrire avec une voie singulière, un style particulier. Dans quel but ? Mazarine s’explique. Pour résoudre le problème d’avoir été crée par l’histoire des autres (un peu le lot de chacun, n’est ce pas ?). Pour se réconcilier avec soi. Pour accéder ainsi à une certaine forme de liberté.

Autre écrivaine. Autre perspective Maylis de Kerangal présente le roman comme un espace, dans lequel toute forme d’usage des mots est soluble : le fait divers, la biographie, la chanson, l’histoire, le poème. Genre malléable, sans règle – le mauvais genre, résume-t-elle – c’est également le lieu de l’hyper-décision de l’auteur. L’auteur doit donc être porté pour couper, trancher, décider, percer les mots, et créer une œuvre vraie. Ainsi Mayliss partage avec nous son processus de création. Elle décide de l’ambiance de son ouvrage. Plutôt intérieur, extérieur, ouvert, fermé, lumineux, sombre. Elle dégage ensuite une histoire, un univers, puis une question – qui peut apparaitre au fil de l’écriture. Et elle l’alimente. Par de la documentation, et par les émotions, les expériences, les rencontres que cette démarche documentaire fait émerger. Un processus qui se nourrit des matériaux rencontrés en chemin. Un processus qui nécessite un élan au départ. Ce que Maylis appelle la vague. Un mouvement, pétri d’énergie, mais aussi de risque de retomber, de céder au vertige. Le roman ne se résous et n’émerge donc que lorsque l’écrivain sait concilier les forces contradictoires qui le traversent : la terreur d’écrire et le désir d’écrire.

Deux voix, l’une prônant le travail de mémoire nécessaire à une liberté, l’autre prônant le travail volontaire et courageux.

Deux voies que les auteurs pourront mêler pour trouver leur propre chemin vers l’écriture.

 

Note : je ne peux que vous recommander de lire Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, un roman dense et court.

 

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