Musée d’Orsay. Le serpentin des visiteurs sur le parvis grisé par la bruine. Le cordon noir guide la file des étourdis sans ticket. Civilisés et feutrés, par groupes, à 2, ou solo, la patience est de mise. La sécurité, check, le billet, check, le vestiaire, check. Et c’est la ruée vers Orsay.
Les allées de sculptures, marbre, albâtre, bronze, plâtre . Des femmes nues et sensuelles, lignes claires et minimalistes. Des diablotins et angelots dansants. Des minautores musclés et combatifs. Les socles s’alignent. Les femmes désuètes et rondes de Maillol, regards baissés vers le sol. L’ours polaire de Pompom leur sourit quand même.
Hall et coursives. Le public sillonne, s’exclame, chuchote, laissant dans son sillage des pensées intimes, des rêveries, des sarcasmes, des soupirs pour soulager ses jambes.
Puis. Les impressionnants du cinquième. Monet, Manet, Degas, Sigeac. Mes souvenirs de lumières vibrantes se sont fanés avec cette visite. Les maîtres sont déchus. Sans doute à cause des 10 années à regarder ailleurs vers de nouveaux artistes francs, colorés et sans limites.
Heureusement, tout ne décrépit pas dans ce nouveau siècle , ma sorcière au chat noir et La Goulue de Toulouse Lautrec restent mes œuvres préférées de ce musée magnifique…
Passer les barrières, faire corps avec la foule. La fête. Les forains. Et nous.
Les paquets de familles, d’adolescents, de parents abandonnés se frottent, se glissent, se substituent, glissent dans un courant aléatoire. Pardon. Pardon. Volte-face. On avance à pas de prisonnier. On trouve un raccourci sous une épaule, on file à droite derrière le palais des glaces, d’où s’élèvent des cris angoissants. Les lumières argentées se transforment en champignons hallucinés. On se croirait à un concert d’ABBA en 1979. Gimme, gimme, gimme, a man after midnight … Est-ce que je chantonne ? Non. C’est l’un des 10 morceaux de musique qui fond sur moi depuis l’îlot des vendeurs de pacotille et de tickets gagnants.
Le sol en alu, claque sous les pieds pressés de tenter leur chance. Tac. Tac. La population se répartit par talent. Les grutiers d’iPhone, les boxeurs à poings nus, les tireurs de ballons tristes et enfermés, les pêcheurs de canards conciliants, les tamponneurs de voiture. Ca s’enthousiasme, ça court vers un monde où les cadeaux tombent du ciel. Avec un peu de chance. Las. Les vitrines blindées de lots résistent à la convoitise du plus grand nombre.
Et ces odeurs. A 50 mètres. Les churros dorés. Haut le cœur. Crêpe au chocolat fumante. Chaud sur les épaules. Hot-dog moutarde acide. Salive dans la bouche. Pop corn sucré. Maux de tête. Instantanément, on se souvient, si on a faim ou pas. Si ce sera du salé ou du sucré. Sirènes de départ. Les forains nous appellent. Attention, mesdamezémessieurs, c’est parti, c’est parti, on s’accroche, on lève les mains. Nous mangerons après les manèges. Il est urgent de s’élever dans les airs, dépasser notre expérience de promenade de poussins en ferme intensive.
Bras en l’air les passagers hurlent, secoués comme des grappes de raisin, centrifugés comme des oranges, satellisés comme des bananes (ben quoi ?). Portés par des moulins à vent mécaniques. Le bruit des pistons ne rassure ni les marionnettes en l’air, ni les allumettes au sol. Les cousines se filment, les grands-pères patientent avec les nouveaux-nés dans les bras, sous les néons clignotants. Jamaica dream. Evil looping. Pirate ship. Les mère modèrent les exigences. Encore. Un dernier. Celui-ci. Doigts pointés vers le ciel. Les grande sœurs se moquent des petites, joues inondées de larmes qui viennent de découvrir la pesanteur. Eclats de rire, cheveux emmêlés, effusion sont de mise. Roller Coaster à tous les étages.
Voilà. La traversée se termine. Avec un paquet de churros froid dans les mains. Les doigts gras et sucrés pressent la clé de la voiture. Le bruit des forains résonne encore longtemps sur le parking silencieux. On reviendra l’année prochaine. Ou pas.
C’est la saison des grands froids, du ciel gris, des grandes avenues vides, et des premières loupiotes de Noël. Paris offre néanmoins au travailleur d’open space le format idéal d’une pause déjeuner culturel. À l’heure où l’hypoglycemie n’atteint pas encore le sens esthétique, direction le Petit Palais. L’exposition de l’illustrateur André Devambez m’attend
Évidemment, le lieu est beau et la déambulation jusqu’à l’exposition au milieu d’oeuvres diverses et variées permet d’oublier que dehors, ensuite, les réunions et cafés sérieux s’enchaineront. Le cocon des 3 salles en sous sol, à peine perturbé par quelques grincements de parquet et les chuchotements des visiteurs, donne tout loisir à sa curiosité. André était un sacré artiste. Lithographie, gravure, peinture, experiementateur de techniques, de formats, mais avant tout illustrateur de son temps (qui n’est pas le nôtre, puisque le monsieur gribouilla une bonne partie du XXÈME siècle).
Que retenir ? Les sens aiguisés, mais l’estomac aux aguets, je suis touchée par les dessins et gravures, aux styles très variés.
Un florilège de ses papiers colorés et crayonnés …
Néanmoins André est un artiste complet. Il manie également le pinceau sur des sujets qui auront moins touchés mon âme affamée.
L’été se termine. Hooooo, monde cruel ! Mais. Il vous reste un mois pour aller flâner dans les expositions des Rencontres d’Arles. On peut y découvrir 40 propositions artistiques. Pour ma part, j’ai flâné 11 heures, déambulation solitaire, j’ai écopé de 63 piqûres de moustique dans les endroits les plus incongrus, j’ai ressenti de l’émotion par paquet, j’ai siroté des Perriers massivement en terrasse pour m’en remettre. A Arles, il y a du beau, du cérébral, du touchant, des surprises. Je vous partage mes expositions favorites, en version courte. Chacune a permis d’entrer dans un monde complet, sensible, de faire un pas vers l’artiste et son altérité. Bonne visite.
Romain Urhausen – Espace Van Ghogh
Alors, c’est le coup de coeur. Romain Urhausen capture le vivant, en noir et blanc, il attrape avec humanité les rues, les gens, les travailleurs des halles ou des usines. Il expérimente la distorsion des photos, il travaille avec talent le nu. Une photo, et c’est une histoire dans ma tête, avec une esthétique familière et généreuse. C’est chaque photo qu’il faudrait mettre en avant, j’ai réussi à sélectionner celles qui m’ont laissée bouche bée.
Franck Horvat (Corps à corps) – Librairie Acte Sud
Une petite exposition en sous-sol de la célèbre librairie, dans une ambiance intimiste. Ici encore, du noir et blanc, des couples en corps à corps, des hommes et des femmes abandonnés à la danse, au spectacle. Seuls ou ensemble, mais avec une présence au monde intense. On a envie de faire un câlin aux inconnu-e-s.
Klavdij Sluban (Sneg) – Croisières
Une série de tirages au grain magnifique sur le thème de la neige. Des lignes franches, de la fraîcheur, une série de délicatesse, où le spectateur devine la glace, la tempête de neige, la poudre, le verglas. Un jeu de piste subtile, suspendu dans le temps.
Une avant-garde féministe – Photographies et performances des années 70 – Mécanique Génerale
C’est The Expo. Celle qui retrace les luttes féministes des années 70. Les médias masculins disent bof, les media féministes s’entousiasment. Pour ma part, elle m’est apparue cruciale, puisque on y trouve les thèmes tellement d’actualité sur l’identité et le rôle des femmes, l’oppression, la sexualité et le porno, l’injonction esthétique, la frontière des genres. Chaque oeuvre prête à rire ou s’attrister. Et 50 ans plus tard, certes, on ne porte plus de pantalons patdeph, mais les sujets abordés restent tellement d’actualité. L’inventivité, l’humour, et la violence palpables dans les propositions ne laisseront aucun indifférent.
Chant du Ciel – Monoprix
Une exposition de notre temps, si j’ose dire. Le cloud, les nuages, dans le ciel, en vrai, ou artificiels. L’exposition regroupe différentes propositions allant du cyanotype au image recomposée par intelligence artificielle, en passant par la vente aux enchères de nuages, ou la question de l’invisibilisation du prix des technologies pour notre planète. Une série d’expérience ou de proposition, qui font cogiter.
Dress Code – Fondation Manuel Rivera-Ortiz
Un lieu de bric et de broc, où l’on emprunte des escaliers minuscules pour tomber sur des propositions diverses, joyeuses ou sérieuses, on y fait le tour de monde en moins d’une heure. Florilège pour vous donner envie d’y flâner.
Babette Mangolite – Eglise Sainte Anne
Un espace majestueux, haut et clair pour rassembler les photographies documents de Babette Mangolite qui a suivi de près et avec passion les premiers pas de la danse contemporaine. Deconstruire l’esthétique classique, organiser des happening dans la rue. Les photos nous font à peine toucher des yeux la révolution qui était en marche à cette époque. Les corps ont des positions étranges, dans des situations incongrues, où la peformance physique a moins de place que la liberté des corps.
Cette édition des Rencontres de la Photographie 2022 aura offert à mon âme de l’émotion, beaucoup, mille raisons de m’interroger, sur notre monde, en balayant les questions de l’équilibre esthétique, les ressources limitées de notre planète, les violences faites aux hommes et femmes, la beauté de la nature ou d’un regard. L’ambiance calme et tranquille des lieux d’expositions laissent une place à la reflexion, sans spectacle, ni flonflons.