Merci Virginie D

Six heures du matin (oui, j’ai tendance à me lever tôt, ces temps-ci). Je viens de finir le dernier Virginie Despentes “Cher Connard”. Et j’ai besoin de partager cette lecture, et un peu de moi, évidemment.

Le fil rouge. Quatre personnages principaux, qui ne se rencontrent pas ou peu, et écrivent : Zoé, Oscar, Rebecca, et la foule, bavarde. On passe 350 pages avec une féministe hardcore, un homme oppresseur peu éclairé, une actrice défoncée qui a su tirer son épingle du jeu. Et les gens, la masse, les hordes, celles qui s’expriment haut et fort tout le temps (parce que, la liberté d’expression, merde), celles que l’on arrive très bien à imaginer lorsque l’on fréquente les zinternets. On rencontre nos trois personnages en pleine course, chacun équipé de sa béquille ou de son cataplasme miraculeux, ses convictions fortes, ses opinions tranchées. Point de dialogue, de décors dans ce roman, point d’allers et venues ou de rencontre chez nos protagonistes, juste des correspondances, des billets d’humeur. L’auteur fait prendre la parole à ses trois personnages, avec des points de vue différent ou radicalement différents, c’est selon. On aborde avec eux : le féminisme, bien sûr, sous différentes formes, la féminité, la paternité (et le désarroi qui va avec), la notoriété, le masculinisme, la drogue, le numérique, l’alcool, les rapports de classes, le show biz, les prisons imaginées ou réelles. On frotte sur les plaies.

L’aventure de lectrice. A certains de mes amis, j’ai dit, alors que j’étais en milieu d’ouvrage, ce livre est un régal, mais il lasse aussi. C’est un pamphlet, ce sont des tirs clairs et précis qui sculptent notre société, c’est une bible de confirmation de biais sur les sujets qui me questionnent, me heurtent régulièrement, et pour lesquels j’ai parfois tranché vite. Il est familier et délicieux à la fois. Mais il m’a touchée aussi. Peut-être plus que les précédents Despentes ? Parce que ici, point de fioritures. On est dans le vif, comme à chaque fois, avec cette auteure. On est dans le vif de la question de la domination, de la question de la société que nous avons forgée et transformée ensemble, de manière désolidarisée. Du lourd, donc. Et en même temps, de la nuance. Les personnages commencent dans un coin de l’échiquier, et finissent dans un autre, il y a un cheminement pour chacun, chacune. Ils atterrissent ailleurs, dans un équilibre amélioré mais encore relatif. Ce livre est fait de rage, mais aussi d’espoir. Oscar, Zoé et Rebecca rencontrent la foule, la rumeur, la masse, les dynamiques de notre société, et toute la violence qu’elles peuvent générer. Et ils réfléchissent, trifouillent leurs tripes. C’est aussi l’autre grande qualité de cette écriture. La vulnérabilité permanente, le huis-clos de nos héros et héroïnes, avec eux-mêmes, et l’autre parfois. Le huis-clos qui permet de se confier, d’expliciter ses propres limites, ses imperfections, de les dire avec maladresse mais sincérité “Je n’y arrive pas, je merde grave ici, mais c’est tout ce que je peux faire aujourd’hui”. La lectrice que je suis, les soutient, s’interroge aussi. Suis-je de cet extrémisme-là, ou de cette famille-ci ? A quel moment ai-je participé, collaboré ? Du côté de nos personnages, le temps, l’amitié, la solitude, l’envie d’autre chose les portent ailleurs. Seule la foule, reste semblable et du début à la fin, oppressive et grossière.

Pour conclure. Ce bouquin met à jour sans concession l’exploitation de l’homme par l’homme, de la femme par l’homme, des individus par les foules. Et cela m’a paru une vision de-filtrée (enfin) de notre monde. Ou du moins, une vision équipée du bon filtre, celui aligné avec mes convictions et questionnements. Je suis une bourgeoise qui fait du yoga (activité brandi comme le symbole d’une vie ratée, par un des personnages), qui s’est crée sciemment un cocon privilégié, sans violence, et full confort. Mais j’observe, je vois la rue, le métro, les réseaux, les familles, les ami-e-s. Je dis parfois. D’autres fois je me tais, pour pouvoir continuer à vivre. Et Despentes raconte tout, ce qui nous écrase, directement ou indirectement. Merci.

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