[Mots] Jetlag

A bout de souffle, il ouvrit les yeux brusquement. Le premier panneau qu’il aperçut à travers la vitre crasse indiquait : Amphitheatre Parkway. Lettre blanche sur fond vert. Où était-il ? Oui. Le taxi filait sur la route 101. Au volant, un indien, à l’anglais bondissant. Rien en comparaison des amortisseurs de son antique Chrysler. Siège en sky, fenêtre tremblante. Ses oreilles sifflaient. Et vibraient aussi. Un vrai chantier miniature. Ses genoux se cognaient à chaque changement de file, ses jambes sans force ne suivaient pas la cadence. Il referma les yeux. Taxi, avion, un second, taxi. Encore vingt heures de voyage. Il eut un bref haut le cœur. La fatigue. Une étrange sensation d’avoir oublié quelque chose, quelque part. Les prochaines heures lui semblaient insurmontables.

Il essaya de se détendre mais son corps était déjà mou. Flasque, aussi. Une vague de détails détestables l’assaillit. Ceux qu’il évitait soigneusement de noter dans ses moments d’intimité. Son poids.  Ses cernes. Ses rides. Ses poils du nez. Indomptables. Fallait-il vraiment vieillir ? Devait-on vraiment mourir ? D’épuisement, oui, sans doute. Une série d’évidences s’imposât à lui. La vacuité de ce voyage. La futilité de ses récentes conversations. Il se sentait loin de tout, à l’opposé de lui-même, et certainement pas au bon endroit. Même les yeux fermés, rien n’allait. Ses pieds gonflés et chauds, ses épaules glacées, ses cheveux fouettant de manière insupportable ses tempes. Son squelette lui semblait être un montage de bâtons épineux mal ficelés.

Il chercha un peu de réconfort dans le souvenir de quelques moments habituellement agréables. Cette grande brune, qui lui avait un peu trop souri pendant le dîner, la veille. Ses enfants qu’il prendrait dans ses bras avant la fin de la semaine. Rien. Il se sentait vide. Il observa le visage des inconnus au volant des imposantes voitures que son taxi côtoyait. Un passager par véhicule, une file infinie de pare-chocs. Le monde était-il devenu fou ? Il sut ce qu’il avait perdu. Le sens. Le sens de tout cela.

Un nouveau panneau. Blanc sur vert. SFO Airoport 10 miles. Ensuite, 6 000 miles en vol. Le voyage serait long.

Note : Lire les autres textes littéraires sur ce blog https://poulpitablog.wordpress.com/category/art-fr/

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s