[Mots] Mille traces

Benoît Courti

Pour une fois elle se regarde droit dans  les yeux. Face au grand miroir, elle s’observe. Des pieds à la tête. Ses cheveux sont encore humides. Deux gouttes filent de son épaule vers son coude, pour se jeter dans les plis de la serviette éponge, en boule, à ses pieds. Elle s’observe, les yeux rougis. C’est un jour spécial. Trente cinq ans. Aujourd’hui. Elle observe sa peau. Nue. Elle la déchiffre. Et se souvient de toutes ces choses qui ont traversé sa vie.

Son genou gauche fendu d’une cicatrice, fine et droite. Les heures passées à ré-apprendre à marcher.

Des vergetures rayent son aine, souvenirs d’un ventre fécond et de maternités heureuses.

L’extrémité de son pouce droit, décapitée par inadvertance un soir de grande agitation intérieure. La peau a repoussé, plus fine et claire.

Des cernes, bleues et grises, dont la profondeur varie selon les jours. Baromètre fiable de ses tourments et de ceux de ses rejetons.

Ici et là, des traces d’éphémères aventures, une égratignure de ronces, un bouton de moustique. L’hiver les effacera.

Elle se tourne maintenant et observe son dos. Elle ne voit que ce grand vide. Cette plaine déserte. Entre ses omoplates délicates, ce grain de beauté oublié, que son mari ne prend plus la peine d’embrasser.

Elle n’a que trente cinq ans, et pense que sa vie est finie…

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