Alaska. Vu du ciel. 10 000 mètres au dessus de la glace.
Ici et là, des mares bleues, dans lesquelles plongent les falaises blanches de glace. Parois lisses et ondulées, os de seiche géant glissés, pointe vers le bas. Sur les étendues d’eau les plus accueillantes, des confettis blancs flottent. Polystyrène de nuages gelés. Là, quelques motifs de flocons aux branches glacées.
La glace est maintenant grise, salie. On prend pied. Terre. Terre. Montagne timide, poil d’ours pelé. Les reliefs s’accentuent, ciselés de route blanches – posées sur les crêtes, ou gisant au fond des vallées. Nulle âme qui vive pour les arpenter.
Voici les plaines fertiles. Cultures en forme d’assiettes rondes, vertes et betterave. Les parcelles sont comme tracées au compas, un quart en jachère. Ainsi donc, on survole une tribu de Pacman géant. Au loin la couverture douillette des nuages. Un mont dépasse, pointu et enneigé. A 500 kilomètres de là, son frère jumeau, à portée de souffle.
On glisse longtemps sur un velours verdâtre, un peu roussi et égratigné, avec des marques de vieux plis, des restes de peaux mortes. Sec et plat. Les routes sont tantôt droites, bonnes écolières, tantôt tortueuses, rattrapées par la réalité. Puis un patchwork jaune et brun, cousu d’éoliennes blanches, courtes sur patte. Où que l’on regarde maintenant, on trouve une ligne droite pour rappeler l’homme.
Deux lacs de montagne séparés d’une colline. Vue d’en haut, ils figurent les yeux irréguliers d’un fantôme. La carrière qui les surplombe me sourit. Au loin, une ville, dans la poussière. Pour y arriver, une ligne, ni droite, ni infinie, mais vue du ciel, on se berce d’illusions. Une ligne imperturbable, tracée à la règle entre deux dorsales montagneuses.
Des flaques de sable ocre et d’eau pure des montagnes perturbent les forêts. Une petite rivière sombre et frisée boucle et re-boucle, bravant la mode du chemin le plus court. Elle dessine un trait large et vivant. Une esquisse de nature au fusain noir. Le trait s’interrompt, coupé par un tourbillon d’arbres et de rochers tenus au respect par une route en cercle.
Un champ de pointes brillantes et chromées. Armure posée à terre. Aucun doute. Il s’agit d’une zone industrielle. Adossés, des losanges de routes à quatre voies. Les champs ronds, carrées, rectangles s’emmêlent, une maison à chaque coin.
Encore quelques montagnes coniques à collerette blanche, une course de haie au dessus de massifs montagneux creusés de Colorados, un ou deux cirques poussiéreux. Et on y arrive. Le Pacifique ourlé d’écume. Une langue de terre recouverte de maison-dominos, longée d’une tresse d’autoroutes. Un coup d’œil vers le ciel bleu, et on aperçoit au loin le pont qui traverse la baie de San Francisco. Immense ponton, à fleur d’eau. Brumeux. On plonge vers la mare verte.
SFO. Terminus.
Note : photo by Maurillaume ‘Bout D’Aile’ en CC https://www.flickr.com/photos/marillaume/