Bon, nous voici toutes et tous confinés. Logés à la même enseigne. A la même enseigne ? Vraiment ? Nope. La soignante, le père célibataire, le vieil homme isolé, la famille nombreuse pleine d’ado, le free-lanceur aguerri, le couple avec des enfants en bas âge, le chômeur à temps partiel, l’éboueur, l’introverti, l’extravertie, à la ville, à la campagne, le télétravailleur, la travailleuse sur poste, l’épouse détestante… Plus que jamais, nous sommes coincés dans des bulles différentes. Matériellement. Professionnellement. Technologiquement. Emotionnellement.
Dans l’espace, dans le temps, dans nos imaginaires très intimes, nous vivons une situation très différente, bien plus que d’habitude. Parce que l’accès aux ressources est limité, parce que notre capacité de déplacement est limitée, parce que nos pouvoirs de négociation ont été amoindris sur notre lieu de travail, parce que nous devons tenir compte de nos proches. Parce que nous avons différentes maturités et stratégies face à l’isolement, au changement, à la consigne, à l’adaptation, au bonheur en équilibre sur une poutre. Nous sommes pressés de tout côtés, nous sommes transformés, travaillés bien plus que jamais par nos blessures intimes et nos peurs secrètes, dans un cadre anxiogène et changeant.
Et alors ? Alors. L’universalité, en matière de confinement n’existe pas. “les gens sont…”, “les cons qui…”, “ceux qui…”. La segmentation des situations réelles est telle qu’il n’existe sans doute pas plus de deux personnes que l’on puisse mettre dans le même panier. Porter un regard sur l’autre, franchir la barrière du jugement a toutes les chances d’être un magistral faux-pas, et de nous dresser les uns contre les autres. (A l’heure où j’écris cela, croyez moi, j’adorerais que nous soyons tous dressés les uns contre les autres dans un mega-fiesta sur une plage à Marseille, mais je m’égare). Gardons en tête que nos catégories et étiquettes habituelles sont en bordel.
Ben merde alors ? On ne plus plus dauber sur les #gens tranquille ? On ne peut plus balancer sur les inconnus, les collègues, les voisins, la famille des autres … ? Ben si ! Mais peut être, avant de se jeter tête baissée dans cette occupation qui nous est chère, et nous fait tant de bien, pourrions-nous faire refaire un petit check de réalité. Interroger nos interlocuteurs. L’air de rien. Sonder. Sans intrusion. Comment vas-tu, comment es-tu impacté par tout ça, quelle énergie te reste-t-il en fin de journée, quelle résistance à la solitude as-tu, as-tu peur de la mort (nan, je déconne) (quoique), quelle est ta perception de la situation, man_ues-tu de quelque chose. J’en sais rien, moi, faites votre questionnaire, avec ou sans humanité, avec ou sans méthode, mais allez chercher sur le terrain, rapprochez-vous, à bonne distance sociale. Pour détacher, un à un, chaque individu de la masse, de la grande famille des #gens. Pour nous reconstruire une réalité plus vraie, de cette situation. Comprendre mieux que jamais ce que l’autre vit – si il a envie d’en parler – dans ses malheurs, dans ses bonheurs (parce que il y en a).
Vous pourriez vous offenser. “Hop, hop hop. Mais je te vois venir, là. On se retrouve muselés ? On ferme sa gueule ? On peut plus parler de collectif alors ?”. Merci pour cette excellente question (oui, je m’aime toute seule, c’est à la mode). Ha mais si, vous répondrais-je. Bien au contraire. Broder sur le monde que nous souhaiterions après. Imaginer des mécaniques qui nous mettrait plus d’égalité demain, dans une situation similaire. Penser des solidarités qui perdurent. Construire la transition d’aujourd’hui, vers demain.
Si, bien sûr. Vite. Allons-y. Sans retenue.