Un Orteil en Dystopie

Il y a quelques jours, c’était la pleine lune, rêvassant en post yoga yin – une pratique qui agit sur moi comme une baguette magique – je savourais l’état d’apaisement complet. C’était donc le timing parfait pour jeter les bases d’un monde imaginaire qui serait un confinement permanent. Ouaip, pourquoi pas ? Enfermés à jamais. Tous. Si nous devions écrire un roman dystopique, à quelles questions faudrait-il répondre pour dessiner un paysage crédible ?

Nos personnages. Partis pour une journée en famille et finalement destinés à errer éternellement dans leur foyer. Certains dans un studio, d’autre dans une villa, d’autres sur un yacht. Appartement, bateau, ras du sol ou dans l’espace, tous apprendraient en marchant la dure loi de la distanciation sociale. Avec maladresse ou aveuglement, dans tous les cas imparfaitement. On serait clément.

L’interaction au monde. Une tête passée par le vasistas. Une femme assise sur son balcon, le regard au loin. Mais surtout. Les yeux rivés sur l’écran. Vive les internets. Le monde confiné-éternellement basculerait sur l’infrastructure internet, ramenant là bas nos interactions dans le monde physique (minoritaire ou majoritaires que l’on ait été sociable ou moins). Dans les câbles sous marins. Avec ces fils, nous serions reliés au monde. On dirait que ça tiendrait. Admettons.

Les autres. Le voisin est là, mais infréquentable. #RestezChezVous. Les paquets d’humains semés sur le territoire, destinés à ne jamais se toucher. Comme des îlots sur un océan. Comment fabriquer une société ensemble, quand l’autre reste loin ou abstrait (peut être un problème que seuls se posent les non-digital native) ? Comment faire battre sa tête, son cœur avec le grand cycle de la vie, quand les enterrements ne sont plus des réalités, mais des histoires que nous nous racontons seuls ? Comment apprendre à accepter l’autre quand un simple geste (éteindre la vidéo, supprimer les messages) nous en débarrasse. Isolés, loin des bars, du cours de gym ou de zumba, la réalité, diverse et riche, ne se rappellerait plus à nous. Bon, okay. La réalité trouverait d’autres formes pour nous sauter à la gueule. On inventera, on rigolera.

Notre apparence, notre corps. Nous aimerions-nous assez pour n’être beaux et belles que pour nous et nos co-confinés ? Sans séduction en face à face, quel serait le moteur pour rester chouette ? Évidemment, l’exercice physique serait un élément pour nous garder  remarquablement musclés, ferme au toucher, la joue haute – on tient plus longtemps en vie musclé et dynamique que biberonné à la mal bouffe et à l’avachissement. Mais sommes-nous tous équipés de la discipline et la force morale nécessaire pour cela ? On dirait que certains oui, et d’autres non.

L’amour. Être coincé éternellement dans une app de rencontre. Des volontaires ? J’en vois quelques-uns. Comment d’ailleurs traiterions-nous la question de la confiance virusienne ?  Aurions-nous des scores de prudence sociale, une note de taux de fréquentation? Un macaron de charge virale ? Ou reviendrions-nous à la rencontre physique comme le grand saut, à l’aveugle, le truc sérieux qui ne se décide pas à la légère ? On dirait qu’il y aurait plein de possibilités, échelonnées sur le degrés de l’audace ou de la folie – choisis ton camp camarade. On y mettrait une pointe de haine, et de jalousie, on ne change pas une humanité qui gagne -hum, hum.

Les besoins premiers. Se nourrir, s’éduquer, se soigner. De nouvelles segmentations s’installeraient. Des filières plus ou moins virus-free ? Les hôpitaux absolument masqués-desinfectés-testés. Et les autres. Les magasins aux circulations et acheminements sous contrôle. Et les autres. Un monde à deux vitesses, ou peut être segmenté pas le bingo des labels virus-free-bio-circuit-court-jamais-touché-par-un-humain. Accessible en montrant patte blanche. En espèce sonnantes et trébuchante ou en certificat médical ? Attachons-nous à ne suivre ni l’un, ni l’autre, mais le petit monde du Do It Yourself – on n’est finalement jamais mieux servi que par soi même en temps d’épidémie.

Consommer ? S’amuser ? Une fois les besoins premiers satisfaits. Acheter quoi, pour ceux qui ont ce luxe ? Yet another gadget ? A quoi servirait maintenant une montre connectée, jamais à plus de 3 mètres de mon ordinateur, jamais à moins de 50 centimètres de mon smartphone à quoi bon me mieux connecter entre le couloir de ma chambre et le salon ? Des fringues ? Sans le regard de l’autre. Peut-être. Mais peut être serions-nous satisfaits de nos fringues favorites, confortables et routinières. Nos mètre-cube étant comptés, l’achat impulsif s’en retrouve freiné. Sauf peut être pour amener de la vie dans le territoire. Oui, des plantes, de l’organique, des trucs qui poussent, témoins de la vie qui continue. Oui, va pour une jungle permaculturée. Et des trucs qui n’existent pas encore pour nous divertir ici et maintenant. Des trucs de dingue.

Travailler. Travailler pour qui, pour quel monde ? Ici encore. Peut être un travail à deux vitesses. Travail exposé, travail non-exposé (bon finalement un peu comme aujourd’hui, quoi). Et quelle fonction aurait le travail dans nos vies ? Acheter des choses, oui, mais quoi (cf point précédent pour les plus riches) ? S’échapper. Satisfaire un ego, une reconnaissance (construit sur quels indicateurs sociaux). Construire du commun ? Génial. Lequel ? Ici, on dirait qu’on serait obligé de reconstruire du sens.

L’organisation de la société. Serions-nous des citoyens connectés, diagnostiqués, embarqués dans des indicateurs de virus, de sureté, de santé ? Ou au contraire, serions-nous en boîtes noires, enfermés dans nos grottes, ou chacun sur son radeau ? Coupées du collectif ou branchés en foule sur les questions de démocratie? Délégation ou autonomie ? Local ou global (si les frontières autres que naturelles gardent un sens). Créerait-on des castes, selon nos parcours plus ou moins virus-free de santé, nourriture, éducation. Ici, beaucoup de choix dans notre scénario. Le romancier devra dégager des lignes fortes. Proposition :  adresser les besoins premiers, de manière égale, pour toutes et tous.

 

Mon roman dystopique n’est pas encore écrit. Parce que j’aimerais encore explorer mes pires et mes meilleures options. Mais cette  réflexion d’un monde autre me permet, dès aujourd’hui de remettre en perspective le monde confiné, en transition vers un monde encore inconnu.

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