Paris. Le soleil est à pic. Les boutiques ont baissé rideau. La lumière est claire, la pierre des hôtels particuliers du Marais offre son aspect le plus acceuillant et mat. La chaussée du large boulevard est déserte, étrangement calme, rien ne roule. Le pas se fait promenade sous la chaleur estivale. Quelques touristes en chapeau cherchent leur chemin.
Soudain, un cadencement énergique s’impose. Toc. Toc. Toc. Un pas décidé. Un jeune homme. Pantalon noir, chemise blanche au vent. Filiforme, le cou long, il avance. Ses jambes attaquent le bitume, comme au ralenti, avec une puissance inattendue. A ses pieds. Une paire de bottines. Talon haut, bout pointu, des bottines de femme. Il avance, concentré sur sa marche. Il balance une hanche et un talon, attérit en souplesse, remonte une épaule, et rebelotte.
Il marche, la tête dans ses chaussures. Il chaloupe, teste son pas. Plus vite, plus lent, plus ample. Il ralentit devant une devanture, tourne la tête sur le côté avec grâce, s’admire des pieds à la tête, des pieds aux pieds. Ses talons claquent, plus fort encore, lorsqu’il reprend son pas cadencé. Il ajoute quelques balancements, teste cet artifice féminin qui lui va si bien. Soudain, les épaules se libèrent, ses bras se meuvent, enrichissent la danse de sa marche. Quelques passants se figent en le croisant. Sa présence forte dans le sec de l’été, et son mouvement décidé, semblent crier, regardez-moi, je suis moi, je suis elle, je suis celui qui aime marcher de manière libérée.
Il s’éloigne, le pas audacieux, parfaitement rodé et aérien, il semble né pour porter ces chaussures et incarner cette danse des hanches, ces roulements de cul qui sont la propriété des femmes depuis des siècles. Ici, le féminin d’hier l’emporte sur le masculin d’aujourd’hui.
Il imagine à nouveau la distance, et songe la parcourir.
Elle célébre, sans doute aucun, les amitiés douces et mélangées.
Ils se délectent de l’inconnu qui les attend peut-être, ou pas, ou bien.
Il s’emplit à nouveau, réservoir ouvert, alors que les niveaux étaient fixes, rationnés.
Elle désenclenche la haute surveillance, elle sort du fort, la main tendue.
Il pense au carré de ses rêves, trace une ou cent cartes, les rebat et recommence.
Elles fixent un horizon qui atterit quelque part, un infini sans obstacle.
Elle vole le sourire d’une inconnue et le transmet, à qui voudra.
Il met un pied devant l’autre, pour un oui, pour un non, au diable la retenue.
Cet édifice, jusque là maintenu en équilibre, bras crispés. Cet édifice flotte soudain entre nos mains, poids plume. Le mouvement. Enfin. Au rythme de notre souffle.
Le 19 Mai, c’était Le Grand Retour à la Vie. Les terrasses, les apéros jusqu’à 21 heures, la réouverture des lieux culturels, les magasins ouverts. Chacun, chacune, pioche dans cette nouvelle liberté ce qui lui a le plus manqué. Pour ma part : l’art, in real life. Direction l’Hôtel de Caumont à Aix En Provence. Zao Wou-Ki fait l’ouverture, on nous promet de la lumière qui ne disparait jamais.
Passons sur les conditions exceptionnelles de la visite que permettent les règles sanitaires (la visite se fait dans le calme, 5 personnes dans chaque pièce, on se croirait presque sur une visite volée). Notre artiste, Zao Wou-Ki, né en 1920 à Pékin a eu le bon goût d’aimer l’Europe, la France, les montagnes et la lumière du Sud. L’exposition nous le répète en boucle, fait grand étalage de ses sources d’inspiration françaises (#cocorico). Mais un vieux document vidéo de l’INA nous rappelle à l’ordre. Selon l’artiste, figuratif, abstrait, écoles, il n’y a pas lieu d’étiqueter pour apprécier la peinture. « Il n’y a que des mauvaises ou des bonnes peintures, les bonnes sont celles qui nous touchent », dit-il avec une voix chaude et rauque.
Alors disons que Zao Wou-Ki a fait des bonnes et des mauvaises peintures, pour réutiliser ses critères. Ses premières œuvres me touchent peu. Il y joue à déconstruire le monde, l’architecture, la nature, il place un soleil, une lune, ici et là. Puis, il amasse la peinture, propose des aplats, laisse filer quelques éclats de lumières, crée des contrastes sur des sujets qui me laissent indifférentes (pardon pour les grands amateurs). Ce premier étage, me fait regretter presque d’avoir quitté mon petit village de pêcheurs pour la grande ville. Et puis, dans la dernière salle de ce premier étage, la rencontre. Hommage à José Luis Sert – 14.07.88. Une déferlante de bleus, de blancs, de toutes nuances. Une toile de 3 mètres de large qui donne envie de rester en contemplation toute la journée. L’homme sait raconter une histoire en couleurs, ou du moins peut-il me faire croire que je comprends cette peinture, son récit, ses rebondissements et ses contrastes. Je suis touchée.
Zao Wou-Ki s’est aussi attelé à déconstruire les standards de l’encre de Chine. Ses amusements étonnent. Je reste longtemps devant ses oeuvres, genre de tests de Rorschach en grande dimension. Je me raconte des choses devant ces tâches noires et grises (je ne raconterai que en présence de mon psy). Je m’étonne des nuances qu’il obtient en deux tons. J’apprécie. Après ces pensées en noir et blanc, je poursuis ma visite.
Dernière salle de l’exposition. Surnommée immédiatement “la salle des grands frissons”. La série « La Cavalière », fait exploser les couleurs. J’y retrouve des odeurs de printemps (celui que nous n’avons pas vu arriver et qui se termine bientôt), des brins d’herbe fous, des fleurs étranges et vibrantes. L’audace des coloristes qui savent allier un vert, un rose fuschia, et quelques gouttes de rouge a toujours suscité en moi une grande admiration, et ici, Zao Wou-Ki se pose en maitre des audaces. Je vous laisse découvrir.
Je repars de l’Hôtel des Arts de Caumont les yeux pétillants. J’ai l’espoir de faire durer la beauté de ce moment, jusqu’à la prochaine rencontre artistique.
Contre les vitres. Hommes sardines. Épaules déhanchées. Figées le temps d’un tunnel. Ça, là, éphémères passions numériques. L’approche. Les yeux qui se ferment. La grande respiration.
C’est le prochain. Laissez descendre laissez descendre. Geiser d’humains. Courants d’airs pressés. Tourbillons. Gare aux brindilles nonchalantes. Le grand slalom. Pelotes de vie, jamais tricotées. Manège infini. Personne ne descend.
Les escaliers. Le grand plongeon pour certains, la petite ballade pour d’autres. Dernier de cordée. En bas. Les yeux vers le sol, fixant la cohorte de talons durs, de semelles souples. J’ai faim. La rivière coule.
Parmi les multiple choses qui éveillent ma curiosité, il y a le dessin. Il va sans dire que toute personne capable de capturer sur une feuille un monde réel ou fantastique par un stylo a toute mon admiration. C’est pour cette raison que lorsque artpress a annoncé la disponibilité de places pour le Salon du Dessin Érotique, à Paris, pile poil la semaine de mon passage à la capitale, je n’ai pas hésité longtemps. Par curiosité, allons-y, me suis-je dit, munie de mon invitation.
SALO VII réunit boulevard Ménilmontant, près de 135 artistes, sous l’orchestration de Laurent Quénéhen. L’entrée est à prix libre, et je me défais finalement de mon invitation gratuite pour pouvoir contribuer et soutenir ce salon au moment d’y entrer (mais merci artpress, c’était généreux ce geste).
Le lieu, grand et lumineux, ambiance béton, ferraille et murs blancs invite à la déambulation devant les œuvres. Que trouvons nous dans ce salon ? Des corps explorés. D’homme, de femme. Un, deux, trois. Des corps de près, de loin. Des techniques de représentations variées – du stylo bille au lin cousu, de la peinture, en passant par des crayonnés noir et blanc. La diversité des styles est au rendez-vous. Le degrés d’érotisme varie également d’une œuvre à l’autre, mais comme disait Picasso “Un tableau ne vit que par celui qui le regarde”, et en matière d’érotisme, je crois religieusement à la diversité de nos attractions. Et le public ? Le public de l’exposition est composé d’artistes, de connaisseurs, de curieux et curieuses comme moi. Point de gêne ici, puisque on se trouve aussi dans un lieu politique qui revendique la possibilité de librement exprimer les sexualités, les corps imparfaits, les corps érotisés.
Et l’esthétique ? J’ai croisé quelques œuvres curieuses, bouleversantes, drôles. Où la réalisation forçait mon respect. En voici quelques unes – beware, explicit images. Je retiens plus particulièrement Rita Renoir et Bertrand Robert. Un salon et des auteurs à suivre…